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Crise de nerfs pour un lopin de terre





Didier Godiveau ne s’en cache pas.


« J’ai la trouille »,murmure l’agri-

culteur dans sa cuisine au confort

rustique. Les yeux rougis par l’émo-

tion, Marie-Claude écoute son mari

dévoré par une dépression chroni-

que. Sam,leur fidèle petit chien, nous

tourne autour.

Sur la table, un épais classeur bleu

compile des dizaines de documents

soigneusement rangés dans des

intercalaires colorés. Rouge pour les

plaintes. Bleu foncé pour les cour-

riers au procureur. Vert pour les

ordonnances médicales. Orange pour

les rapports de médecine légale. « Au

total, j’en ai eu pour quarante jours

d’ITT (incapacité totale de travail,

N.D.LR.). En deux ans, j’ai perdu 18

kilos. J’ai été poussé à la retraite et hos-

pitalisé sous contrainte. Je viens de

passer une expertise psychiatrique »,


égrène le sexagénaire. Il évoque égale-

ment plusieurs tentatives de suicide.


« Ça va mal finir », craint une riveraine

Depuis plusieurs années, cet homme

aux cheveux grisonnants se dit victi-

me de harcèlement moral et de vio-

lences. Derrière ces accusations se

cache un conflit de voisinage qui

s’enlise depuis plusieurs années au

point de devenir une affaire sensible.

Insultes, coups bas, suspicions de

sabotage, agressions et menaces de

mort: des dizaines de plaintes pleu-

vent dans chaque camp. Du maire à la

sous-préfète en passant par les gen-

darmes etle parquet d’Angers, tout le

monde est au courant. Tout le monde

semble impuissant. « Un de ces jours,

ça va mal finir d’un côté ou de l’autre »,

craint une observatrice neutre qui

souhaite « absolument rester en

dehors de tout ça».


Installés depuis 1983 au Louroux-Bé-

connais, commune déléguée de Val

d’Erdre-Auxence, peuplée de 3 000

habitants et située aux confins de

l’Anjou et de la Loire-Atlantique, les

Godiveau exploitent 140 hectares de

terres céréalières et élèvent des

vaches laitières. Une vie de labeur

perturbée par l’arrivée d’un jeune voi-

sin au mitan des années 2010. Un

vieux litige immobilier longtemps

resté enfoui va éclater au grand jour.

Quarante-six centimètres

de trop...Plantons le décor : la maison occupée

par le voisin et sa famille est située au

pied de parcelles en pente, entre un

bâtiment public et un étang qui sto-

cke les eaux de pluie. L’habitation

-une ancienne grange transformée en

longère- empiéterait sur un des ter-

rains des Godiveau. « Quarante-six

centimètres exactement », souligne

l’agriculteur en brandissant un rap-

port d’un géomètre expert. La partie

adverse a sollicité une contre-exper-

tise, avant un dénouement attendu

prochainement devant le juge civil au

tribunal judiciaire d’Angers.


Il suffit de suivre Didier et Marie-

Claude sur le terrain litigieux, pour

mesurer à quel point l’atmosphère est

irrespirable. Au bout de cinq minutes

sur place, un véhicule de société des-

cend la petite route d’un kilomètre

avant de débouler dans la cour des

voisins. « Oh non, ce n’est pas vrai, c’est

lui ! », se désespère Marie-Claude. Le

visage de son mari devient pâle. Dos

courbé, épaules rentrées, sourcils

froncés, un trentenaire surgit de la

voiture. Pas de bonjour. Il pointe du

doigt de grosses souches d’arbres qui

bordent sa propriété : « Toi, tu vas me

dégager tout ça ! », lance-t-il à Didier

avec véhémence. « Et vous, vous êtes

qui ?», aboie-t-il en nous voyant.


(extrait de l'article de Frank de Brito paru dans le Courrier de l'Ouest le 17 Mars 2025)

 
 
 

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